dimanche 20 novembre 2011

Le paradoxe J

Je suis allé, la semaine dernière, à la rencontre des professeurs de l'école de mon fils. Il s'agit d'une rencontre où on peut discuter avec chacun des professeurs pour savoir comment ça se passe jusqu'à présent.

Notre fils, dont je tairai le nom ici mais que j’appellerai "le J", débute cette année ses études secondaires. Tout a très bien été au primaire, que de bons résultats, alors nous ne sommes pas trop inquiets pour le secondaire. Effectivement, Julien a de très bons résultats pour ce premier bulletin. (Oups, je viens de dire son nom !).

Ce qui en ressort est qu'il est particulièrement doué pour les langues et la communication. D'excellentes notes en français et en anglais. Il est très à l'aise pour faire des présentations orales. Son professeur d'anglais le voit déjà étudiant à McGill en communication ou en traduction. Il était très populaire au primaire au jeu d'impro. Même son professeur de 5 ème année est venu lui demander, alors qu'il était en 6 ème, de lui prêter un de ses textes réalisés l'an passé pour le montrer en modèle !

Bref, vous voyez le genre. D'où le paradoxe suivant...

J'ai eu beau analyser le phénomène sous tous les angles, ma seule théorie plausible pour l'instant pour expliquer le phénomène, est la suivante:

Sur le chemin, entre l'école et la maison, existe un phénomène magnétique inconnu, sans doute de la même famille que celui du triangle des Bermudes. Ce champs magnétique agit directement sur le cerveau, plus précisément dans les régions du centre de la parole et a pour effet de tout effacer le vocabulaire acquis chez certaines personnes, principalement les ados, quand on y passe en direction de la maison. Le phénomène s'inverse en direction de l'école et restaure le tout.

Car voyez-vous, rendu à la maison le "J" ne dispose plus que d'un vocabulaire d'environ 8 à 12 mots, accompagné de certains sons ou grognements pour nuancer ces mots, qu'il n'utilise qu'en cas d'absolue nécessité.


Par exemple, à la question: "Comment a été ta journée à l'école ?" on obtient généralement la réponse suivante:

"Euh ... ordinaire."

C'est certain que je ne m'attends pas à :

"Superbe ! En mathématique, le professeur nous a convaincu que le calcul des fractions allait nous propulser au 22 ème siècle et nous ouvrir toutes les portes des grandes entreprises financières ! Puis en français, nous avons tous applaudi lorsque le professeur a enfin démystifié l'usage du conditionnel présent !"

Mais tout de même, juste un peu de viande sur l'os serait appréciée !

Je note aussi que les mots "oui" et "non" ont disparus. Sans doutes inutiles quand on peut nuancer de plein de façon. Par exemple si on se fie à la conversation suivante (non fictive, hélas):

- Est-ce que tu commences à avoir faim ?
- Mettons.
- Tu as le gout de quoi ?
- Sais pas.
- Veux-tu qu'on aille au restaurant ?
- Bof !
- Ok, on va aller à la cage aux Sports !
- Ça m'dérange pas.

À première vue, très peu d'informations ont été échangées dans ce dialogue, mais en tant que parent d'ado, il faut apprendre le sens réel du nouveau vocabulaire limité.

Explications:

Mettons:  Traduction: "Chers parents, je suis heureux que vous me posiez cette question, car effectivement, un léger gargouillis de l'estomac m'informe que me sustenter est une option que j'envisage fébrilement !"

Sais pas: "Je sais très bien ce que j'aimerais manger, mais je préfère que vous me le proposiez pour pouvoir juger si une alternative plus intéressante s'offrirait à moi."

Bof: Ici, il faut décoder la musicalité du Bof, parce qu'il peut vouloir dire: "Oui, définitivement, je n'arrive plus à me contenir !", si le bof est court, ou bien: "C'est une option intéressante, compte tenu qu'il n'y en n'a pas de meilleures, alors je vais m'y conformer." si le bof est allongé (bo---f).

Ça me dérange pas:  Ici on a le plus haut niveau d'approbation possible dans ce vocabulaire. Il peut signifier: "Bravo, hourra, allons-y ! Qu'est-ce qu'on attends", ou tout simplement: "ok !".

Comme on voit, il est important de ne montrer aucune émotion ! Le "J" doit toujours paraître désintéressé. Mais dans certain cas, quelques rares phrases clés sont utilisées pour exprimer une profonde anxiété frôlant la panique. En voici deux exemples:

Y a pu d'jus : Il faut comprendre ici que le "J" ne peut s'hydrater avec de l'eau, molécule beaucoup trop simple pour lui. Il faut absolument un mélange de fruits exotiques additionnées de sucre et colorants artificiels, si possible, et en quantité suffisante, soit trois fois son poids par semaine. Ce constat troublant est généralement formulé lors de l’absorption de la dernière goutte de la dernière bouteille. Il faut alors prévoir une sortie d'urgence à l'épicerie, ou aller cueillir des oranges dans la cours arrière, selon notre situation géographique.

J'ai pu d'linge : Encore une fois, il s'agit d'un état de semi-panique, qui arrive généralement un vendredi matin 15 minutes avant le départ pour l'école. Il faut comprendre que le "J" n'ose jamais porter le même jeans deux jours de suite, ce qui pourrait causer une usure inégale de la collection. Il est possible de régler le problème temporairement en prenant discrètement une paire de jeans dans le panier à linge sale, puis en lui tendant disant qu'on l'avait oublié dans la sécheuse.

Lors d'un retour d'un voyage scolaire de 3 jours à Boston, passés à visiter la ville, ses attractions, dormir à l'hôtel avec ses copains de classe, se nourrir dans des restos, nous avons osé oser la question "Et puis, comment a été le voyage ?", on a eu le droit à un "C'tait l'fun !". Je suis certain maintenant, que vous pouvez mesurer toute la profondeur et la richesse de cette courte réponse !

En conclusion, oui l'ado semble perdre son vocabulaire en milieu familial, mais même avec très peu de mots, il parvient, grâce à son extraordinaire intelligence et son incroyable sens de l'économie d'efforts, à communiquer efficacement, si son interlocuteur type, ses parents, y mettent les efforts requis !

P.S. N'hésitez pas à ajouter vos commentaires !

6 commentaires:

  1. Ouaip, c'tait ben l'fun lire tout ça....

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  2. FYI - 'twas a sarcastic "so" with a small dose of venom and a large helping of indifference.

    Anonymous PK - again.

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  3. Comme une guitare ne résonne pas de la même façon dépendant du lieu où on en joue, la tête d'un ado ne résonne pas de la même façon selon qu'il se trouve à l'école ou à la maison.
    Solution: Vas enregistrer les sons autours de l'école et fais les jouer quand tu t'adresse à "J" à la maison.
    Son cerveau qui se croira à l'école fonctionnera comme son prof d'Anglais l'imagine. Tu pourras bénéficier de phrases complètes et articulées.
    Inconvénient: Il faut t'attendre à ce qu'il désire de la bouffe de cafétéria.

    Normand

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  4. Ok Normand, tu gagnes le prix de la meilleure théorie !

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